Orientation

Identifier les axes de développement

Nous entrons dans l'ère de la rareté. La production de ressources est sur le point de décroître, voire décroît déjà. Il nous faut retrouver le bon sens, retrouver un usage modéré mais efficient de notre patrimoine terrestre commun. Dans le même temps, la pression climatique s'accentue, alors que le rappel à la Terre est déjà douloureux pour certaines grandes puissances comme la Russie ou les Etats-Unis.
Fort heureusement, ces deux contraintes sont les deux facettes d'un seul et même problème. Ainsi, ce n'est pas la peine de courir deux lièvres à la fois, les solutions envisagées pour résoudre la contrainte aval (émission de GES) étant principalement liées à la contrainte amont (consommation d'énergies fossiles). "Principalement", car le secteur de l'agriculture échappe à la corrélation émissions de GES / quantité d'énergie fossile consommée :


Nous savons donc où attaquer pour réduire nos émissions : Diminuer notre consommation d'énergies fossiles et réduire les activités les plus émissives dans l'agriculture.
  • Pour l'agriculture, c'est relativement simple : On a vu précédemment que les émissions paysannes étaient principalement dues aux émanations animales, et à l'utilisation d'engrais pour les cultures, dont une majorité est dédiée à l'alimentation animale. Pour diminuer les émissions de GES liées au secteur de l'agriculture, il suffit de réduire significativement notre consommation de viande.
  • Par contre, concernant la consommation d'énergie fossile, la démarche est plus complexe, de nombreux facteurs étant entremêlés. C'est ici qu'intervient une équation pédagogique magique de simplicité :

L’Équation de Kaya

(Merci encore à Jean-Marc Jancovici).

D'abord, quelques définitions, qui peuvent s'appliquer à n'importe quelle échelle.
  • GES : Quantité de gaz à effet de serre émis (d'origine anthropique) ;
  • TEP : Quantité d'énergie consommée (sous toutes ses formes) ;
  • PIB : Production ;
  • POP : Démographie ;
Cependant, il n'est pas très pertinent de raisonner à échelle locale concernant le climat, alors qu'il est essentiel de prendre en compte les particularités de notre pays, notamment en terme de mix énergétique, pour imaginer des solutions aux problèmes futurs. L'analyse suivante portera donc principalement sur le potentiel de développement français vis-à-vis de la contrainte énergie/climat :
Nous allons partir de l'équation suivante, très simple, et nous allons multiplier et diviser l'un de ses membres par chaque facteur distingué ci-dessus : GES = GES
  1. GES = GES/TEPx TEP
  2. GES = GES/TEP x TEP/PIB x PIB
  3. GES = GES/TEP x TEP/PIB x PIB/POP x POP
Ayé, nous avons notre équation de Kaya.
Afin d'en tirer une conclusion, il nous faut en considérer séparément chaque terme. Préalablement, notons que d'une manière générale, pour réduire nos émissions de GES, il nous faut bien évidemment déployer des technologies alternatives. Cependant, ce déploiement est nécessairement lent et coûteux, car il nous oblige à repenser nos infrastructures, rediriger nos efforts industriels, intellectuels et financiers vers des domaines différents. La course contre la montre étant déjà bien engagée, nous ne pouvons nous contenter de rester spectateurs du changement, d'autant plus que les effets rebonds ont tendance à annuler les évolutions technologiques positives. Nous donc devons adapter notre comportement à notre environnement, qui va évoluer très rapidement dans les années à venir.
A partir d'ici, un code couleur permettra de distinguer visuellement les solutions technologiques des solutions comportementales.
Tous les calculs indiqués par la suite ont pour objectif de fixer les ordres de grandeur afin de mieux comprendre les dynamiques en jeu, et d'identifier des solutions réalisables physiquement.


1. Diminuer POP

POP, c'est la démographie. Ce facteur n'est pas le plus déterminant dans notre pays, sa croissance étant relativement faible. En 2060, d'après les projections de l'INSEE, la France comptera toujours moins d'habitants que l'actuelle Allemagne.
Source : INSEE
Pour autant, nous devons tous prendre conscience du lien étroit qui unit population et niveau de vie moyen, car dans un monde aux ressources finies comme le notre, la croissance de l'un de ces deux critères se fait nécessairement au détriment de l'autre. La France étant chichement pourvue en sources d'énergie, si nous refusons de voir notre population décroître (solution dont je ne suis pas particulièrement friand), nous devons accepter une baisse du niveau de vie moyen, d'autant plus importante que nos dirigeants seront frileux dans la gestion de la transition énergétique. (Attention, une baisse du niveau de vie, au sens de revenu, n'implique pas nécessairement une baisse de la qualité de vie, voir paragraphe suivant)

A l'échelle internationale, au contraire de la France, la population de nombreux pays est encore en forte croissance, puisque leurs transitions démographiques sont en cours. Pour rappel, "La transition démographique désigne le passage d’un régime traditionnel où la fécondité et la mortalité sont élevées et s’équilibrent à peu près, à un régime où la natalité et la mortalité sont faibles et s’équilibrent également." La conséquence de la transition démographique est une augmentation très importante de la population pendant une durée limitée.
Image : Wikipédia

Ainsi, la manière dont la démographie mondiale va évoluer à l'avenir (voir le bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’études démographiques n° 408 janvier 2005) conditionnera l'impact de l'humanité sur son environnement. Inversement, la manière dont les ressources vont se raréfier, et le climat s'altérer, va influer sur le développement démographique mondial. La grande inconnue est de savoir comment se régulera la population humaine :
  • Involontairement, par des phénomènes naturels douloureux (sécheresse, inondations, ouragans, tsunamis...) engendrant famines et épidémies, voire des guerres.
  • Volontairement, par des politiques familiales volontaristes, la contraception, et avant toute chose, le niveau d'éducation.
Source : Nations Unies

En raisonnant de manière purement financière, sans notion de solidarité ou de fraternité, les pays dits "développés", dont la France, gagneraient beaucoup à financer aujourd'hui le développement des infrastructures scolaires dans les pays en développement. Dans une logique comptable, il s'agirait d'un investissement relativement coûteux destiné à limiter un risque aux conséquences bien plus coûteuses. Dans une logique économique, il s'agirait de maximiser l'utilité marginale de chaque euro dépensé dans la lutte contre le réchauffement climatique. Dans une logique idéaliste, il s'agirait de mieux répartir la richesse mondiale, et d'améliorer les conditions de vie de millions de personnes, aujourd'hui et demain.


2. Diminuer PIB/POP

PIB/POP, c'est la "richesse" produite par habitant en moyenne. On simplifiera en supposant que la "richesse" produite par habitant correspond peu ou prou à celle perçue par habitant, ce qui nous amène à considérer PIB/POP comme une équivalence du revenu par habitant.

2.1. Qualité de vie et pouvoir d'achat

En première approche, diminuer PIB/POP revient donc à réduire le pouvoir d'achat, une orientation bien peu sympathique. Cependant, cette conclusion hâtive est à modérer, par des exemples astucieusement sélectionnés :
  • Une baisse du PIB/POP peut améliorer la qualité de vie, et une amélioration de la qualité de vie peut se traduire par une baisse du PIB/POP :
  • ...à court terme :
    • Santé : Exemple facile, le système de santé français principalement public était le mieux classé au monde (page 200) par l'Organisation Mondiale de la Santé en 2000, alors que les Etats-Unis, par leur système de santé privé, dépensent 1,5 fois plus par habitant et en pourcentage du PIB ;
    • Bâtiment : L'isolation des bâtiments diminue la facture de chauffage, donc le PIB/POP, tout en augmentant le confort intérieur. 
    • Mobilité : Avec des voitures plus petites et moins rapides, le nombre d'accidents diminuerait, entraînant avec lui une part du PIB. Par contraposée, la hausse du PIB/POP n'est pas non plus garante d'une amélioration de la qualité de vie. La privatisation des chemins de fer britanniques a conduit à une augmentation des tarifs, la privatisation des autoroutes françaises a entraîné une hausse opaque des péages, sans amélioration de prestation pour l'usager. 
    ...comme à long terme :
    • Energie : Au delà de l'augmentation tendancielle du prix de l'énergie qui est à prévoir, la libéralisation du marché (tarifs dérégulés de l’électricité par exemple) a amplifié ce phénomène, sans fournir d'avantages notables aux clients. L'on pourra également réfléchir à la pertinence des stratégies d'investissement des nouveaux entrants sur le marché de l'électricité, comme Direct-Energie et Poweo qui misent sur le gaz (naturel), énergie fossile par excellence. Mais l'on pourra également s'exprimer sur les enjeux de sécurité dans le nucléaire lorsque les principaux acteurs du secteur emploient des sous-traitants en cascade (Procurez-vous le livre "La Centrale").
    • Eau : Tout comme l'énergie, l'eau est un bien collectif. De la même manière que pour l'énergie, les entreprises privées ont des difficultés à intégrer la notion d'investissement à très long terme et de stock fini dans leurs calculs de rentabilité immédiate. Cela résulte bien souvent en une décorrélation défavorable au consommateur entre augmentation des tarifs et amélioration de la qualité. L'aberration consiste à proposer des tarifs dégressifs. (Autant que l'énergie, l'eau est un enjeu majeur pour l'avenir. N'hésitez pas à faire main basse sur "L'avenir de l'eau" d'Erik Orsenna) ;
  • Certaines orientations proposées précédemment provoqueront une baisse du PIB/POP, mais une augmentation du pouvoir d'achat :
    • Production : En raccourcissant les circuits de production (agricoles comme industriels), le nombre d'intermédiaires diminue. Chaque intermédiaire générant une marge, la suppression du cumul de ces marges induit une diminution des flux monétaires, qui se traduit par une baisse du PIB/POP. Parallèlement, les marges du producteur augmentent tandis que le prix est réduit pour le consommateur final, ce qui augmente son pouvoir d'achat.
    • Emploi : De la même manière, toutes choses égales par ailleurs, le rapprochement entre lieu de travail et lieu d'habitation, une qualité de vie recherchée, entraîne une diminution de la consommation d'essence, donc une réduction des flux monétaires, mais une hausse du pouvoir d'achat. Et encore un coup sur la tête du PIB.
    • Bâtiment : La rénovation de bâtiments réduira la facture énergétique des résidents, qui consommeront donc moins de gaz et d'électricité. Merci pour la balance commerciale, mais dommage pour le PIB.


2.2. Les limites du PIB/POP

Tel qu'explicité précédemment, l'indicateur qu'est le PIB ne prend pas en compte la consommation des ressources naturelles, qui nous sont pourtant essentielles. De plus, comme pour les faux bons résultats du protocole de Kyoto, le PIB français ne prend en compte que la production intérieure, et pas la production associée à tous les objets que nous importons de l'étranger. Conséquence : Notre PIB peut stagner alors même que notre pression sur l'environnement s'accroît, même au delà des limites du soutenable.
Aujourd'hui, alors que nous sommes déjà en surchauffe, nos dirigeants, et ceux du monde entier par la même occasion, cherchent encore le retour à la croissance économique, sans percevoir la croissance physique qui lui est associée.

Comme le montre le graphique ci-dessus, le ralentissement de la croissance du PIB a entraîné un ralentissement de l'augmentation de notre empreinte écologique. Ainsi, diminuer PIB/POP (équivalent à diminuer PIB dans une population relativement constante comme la notre), cela signifie réduire notre empreinte environnementale, et préserver notre capacité future d'approvisionnement. Difficile d'y voir un désagrément...

Dans tous les cas, si nous ne souhaitons pas voir diminuer PIB/POP, la physique nous l'imposera.


3. Diminuer TEP/PIB

TEP/PIB, c'est le contenu énergétique de la "richesse" produite, également appelé intensité énergétique de l'économie. Combien de Watt-heure ou de Tonnes Équivalent Pétrole ont été nécessaires pour produire un euro de "richesse" (en monnaie constante) ? Ce facteur concerne donc particulièrement le monde du travail. Pour réduire ce poste, deux possibilités :
  • Diminuer TEP par rapport à PIB : Pour cela, il faut économiser l'énergie, c'est-à-dire réduire la consommation d'énergie nécessaire à n'importe quelle activité productrice rémunérée. Diminuer ce poste implique l'amélioration de l'efficacité énergétique de tous les moyens de production matérielle ou intellectuelle : machines, outils, bureaux... Il faut donc chercher et mettre en place de nouvelles solutions technologiques plus efficientes en terme d'énergie (l'isolation des bâtiments du tertiaire rentre dans ce poste). En termes comportementaux, la mobilité devra être réduite :
    • Transport de matières premières : Les circuits courts de production devront être privilégiés.
    • Déplacement de personnel : Développer le télétravail (visioconférences y compris), rapprocher les lieux d'habitation des lieux de travail, voire réduire ou supprimer les lieux de travail pour les métiers de service.
  • Augmenter PIB par rapport à TEP : En appliquant un surcoût à la mesure du contenu énergétique des "richesses" produites, l'on tend à augmenter artificiellement la valeur de PIB relativement à TEP. Cas théorique :
    • Un produit nécessite 40 kWh pour sa fabrication, et coûte 8 €. Son rapport TEP/PIB est égal à 40 kWh / 8 € = 5 kWh/€.
    • Le même produit se voit appliquer un surcoût de 2 €. Son rapport TEP/PIB est alors égal à 40 kWh / (8 € + 2 €) =  4 kWh/€.
    Ainsi, le renchérissement arbitraire par la fiscalité du coût des produits ou services en fonction de leur contenu carbone n'est rien d'autre qu'une taxe carbone, ou plus politiquement correct, une contribution énergie/climat, une proposition qui date déjà de 2004, au moins !
Cette contribution énergie/climat est une des mesures phares à mettre en place rapidement sachant qu'elle conditionne très fortement les comportements, de par son impact direct sur le portefeuille. C'est donc la mesure mère de nombreuses autres.
Pour être efficace sans être destructrice, la valeur de la taxe devrait démarrer à un niveau relativement faible, puis être augmentée régulièrement et indéfiniment. Cette augmentation devrait être connue de tous afin de pouvoir anticiper et s'adapter en conséquence.

4. Diminuer GES/TEP

GES/TEP, c'est le contenu carbone par unité d'énergie. Combien la production d'un kWh d'énergie émet-il de grammes de CO2 ? Cela dépend de notre mix énergétique global, 2/3 de l'énergie que nous consommons est issue de ressources fossiles, qui rejettent beaucoup de GES lors de leur combustion. Côté électricité, il sera difficile de faire mieux, notre parc nucléaire nous garantissant déjà un kWh peu carboné, l'essentiel de l'effort portera donc sur les secteurs exploitant directement le pétrole et le gaz.


Source : AIE

Notez bien que les parts des sources d'énergie affectées à la production d'électricité (et notamment  pétrole, gaz et charbon) n'apparaissent pas séparément dans ce graphique, car ils sont déjà comptés dans la part "électricité".  Ils sont difficilement remplaçables dans le mix énergétique car nécessaires à la régulation du réseau.

NB : Tous les calculs qui suivent ont pour objectif de fournir des ordres de grandeur en jeu. En aucun cas je ne prétends donner une "solution". Pour autant qu'il y en ait une, il est certain qu'elle devra reposer sur une diversité de technologies et d'acteurs différents.

4.1. Le pétrole

La consommation de pétrole est indissociablement liée à l'usage de moteurs thermiques, notamment dans le secteur de la mobilité ou de l'autonomie énergétique (groupes électrogènes). Ce n'est pas un hasard, le pétrole a une forte densité énergétique, il est liquide à température et pression ambiante, ce qui permet de l'extraire, de le stocker et de l'exploiter facilement. Ce sont des qualités essentielles pour assurer une bonne autonomie aux véhicules sans y associer trop de risques.
 
Source : AIE


4.1.1. Les moteurs alternatifs

D'après le graphique ci-dessus, une grosse moitié du pétrole est consommé en mobilité (Environ 85% sur terre et 15% dans les airs). Actuellement, il se dessine deux alternatives principales au moteur à essence non directement émettrices de GES : Le moteur électrique, alimenté par une batterie ou une pile à combustible, et le moteur à hydrogène. Chacune de ses solutions entraîne deux questionnements concernant la production et le stockage de la forme d'énergie utilisée :

  • Production : Le cas le plus favorable est le moteur électrique avec batterie, les pertes de rendement étant plus importantes dans le cas de l'hydrogène. En tenant compte d'un rendement de 20% pour un moteur à essence et  de 60% pour un couple performant moteur électrique + batterie, il nous faut convertir 844 TWh sous forme pétrolière en 844 x 20 /  60 = 280 TWh sous forme électrique. C'est-à-dire qu'il faudrait soit diviser par trois notre consommation d'électricité actuelle, soit accroître le parc de production électrique de 2/3 (un peu moins si l'on oublie les avions électriques) sans utiliser de sources d'énergies fossiles : Cette solution implique donc un joyeux mélange entre nucléaire, dont la capacité de production est à renouveler rapidement, et les EnR (Énergies Renouvelables), dont l'investissement initial est élevé pour une production faible et intermittente, bien que durable. On peut cependant envisager un couplage entre le développement des EnR et la voiture électrique : Les batteries des voitures reliées au réseau serviraient de tampon pour compenser les fluctuations de production électrique. C'est le parc automobile qui déciderait de la proportion d'EnR tolérable par le réseau.
  • Stockage : Poids significatif, empreinte écologique significative, faible densité énergétique des batteries d'un côté, risque engendré par le stockage de l'hydrogène de l'autre, aucune solution ne permet un usage similaire à celui de l'essence, dans sa simplicité, son autonomie ou ses risques mesurés.

Mais avant d'envisager tout recours massif à cette alternative, contentons-nous d'analyser le parc automobile existant : 37 millions de voitures pour 28 millions d'actifs (l'usage de la voiture étant souvent contrainte par la localisation du travail), une augmentation continue du poids et de la puissance moyenne. La première des priorités est donc de réduire le parc automobile, et de faire subir une cure de minceur aux voitures, notamment en ce qui concerne leur poids et la taille des moteurs. Les poids lourds étant également de gros consommateurs pétroliers, il serait urgent de développer à nouveau le fret ferroviaire, fluvial et maritime.
Le pétrole étant lié à la mobilité, réduire notre consommation de pétrole nous amène aux conclusions générales suivantes : déplacer nos carcasses et nos marchandises moins souvent, moins loin, moins vite. Concernant nos carcasses, il y a fort à faire dans la mutualisation des déplacements, étant donné qu'une large majorité de voitures ne transporte qu'un unique passager


4.1.2. Le bâtiment, un gisement énergétique potentiel

Si nous souhaitons trouver une alternative au moteur à pétrole du type électrique, hydrogène ou air comprimé (cela ne change rien en terme d'énergie primaire), nous devons soit développer de nouvelles capacité de production d'électricité, soit diminuer notre consommation d'électricité dans certains secteurs pour réaffecter cette énergie aux moteurs.

Source : AIE

A la louche, deux gros tiers de notre électricité sont consommés dans le bâtiment (résidentiel + tertiaire), et un petit tiers dans l'industrie. Dans une logique de relocalisation mondiale liée à la contrainte pétrolière, il sera compliqué d'à la fois redévelopper le secteur de l'industrie et de diminuer sa consommation électrique. Reste donc principalement le bâtiment.
L'on remarquera que la quantité d'énergie qui est consommée par le bâtiment correspond peu ou prou à celle nécessaire à la transposition de l'énergie pétrolière sur l'énergie électrique. Cette constatation anéantit toute possibilité de basculement complet et induit une nécessité absolue de développer de nouvelles installations de production électrique et/ou de réduire significativement les déplacements de personnes et de marchandises.
Voyons maintenant dans quelle mesure chacune de ces solutions devra être envisagée :


4.1.2.1. Réduire les besoins de chauffage et d'eau chaude sanitaire

Source : Ministère de l'écologie (valeurs adaptées avec celles de l'AIE)


D'après l'Ademe, il est possible de diviser par 4 à 6 les besoins d'énergie des logements par de la rénovation, qui s'applique donc principalement au chauffage et à l'eau chaude sanitaire (ECS). En première approche, on extrapolera cette assertion au tertiaire.

Gisement d'économie disponible :
  • La consommation d'énergie dédiée au chauffage et à l'ECS, divisée par 5 après rénovation, sera de l'ordre de (34+67)/5 = 20 TWh, ce qui permet de libérer (34+67)-20 = 80 TWh électrique environ ;
  • Le secteur du transport consomme 473 TWh d'énergie sous forme pétrolière, le moteur électrique ayant un rendement 3 fois supérieur à celui du moteur thermique, le secteur du transport nécessite 473/3 = 158 TWh de puissance électrique environ ;
  • 85% du transport étant terrestre, et l'automobile représentant 60% de celui-ci, le parc automobile nécessite donc 60% x 85% x 158TWh = 80 TWh électrique environ ;
  • Le gisement énergétique disponible dans le bâtiment permet donc un basculement complet du parc automobile sur de la propulsion électrique.

La vitesse d'évolution des parcs immobilier et automobile
  • Renouvellement du parc immobilier : (Source : Ademe)
    • Environ 300 000 logements par an, sur un total de 30 millions, soit 1%.
    • Environ 14 millions de m² de tertiaire sur un total 814 millions de m², soit 1,7%.
    • Soit une moyenne d'environ 1,3% par an.
  • Rénovation du parc immobilier : 400 000 logements par an, sur un total de 30 millions, soit environ 1,3% par an. (Source : Plan Bâtiment du Grenelle Environnement)
  • Modernisation du parc immobilier : 2,6% par an, à comparer aux 4% de renouvellement du parc automobile, dans son ensemble (thermique + électrique) (Source : page 220 de cette thèse) ;
  • Le développement de la voiture électrique sera progressif, donc on peut supposer que la vitesse de modernisation du parc immobilier sera suffisante pour absorber le transfert de l'alimentation des moteurs d'automobiles du thermique à l'électrique, pour un basculement total en 2050. Quoi qu'il en soit, les capacités de production électriques devront être renouvelées avant la fin du-dit basculement.


4.1.2.2. Réduire les usages spécifiques de l'électricité

D'après le ministère de l'écologie, les usages spécifiques de l'électricité (cuisson comprise) représentent environ 185 TWh, qui se divisent en deux parts à peu près égales entre le résidentiel et le tertiaire :

  • Dans le tertiaire, les usages spécifiques de l'électricité concernent la climatisation, la cuisson, l'éclairage, et l'informatique (serveurs et ordinateurs), pour environ 95 TWh.
  • Dans le résidentiel, pour environ 90 TWh, les usages spécifiques de l'électricité sont répartis de la manière suivante :


Dans ces deux cas, l'amélioration de la performance énergétique des matériels utilisés n'est pas suffisante pour entraîner une diminution de la consommation d'électricité (voir graphiques B21 et C8 dans les chiffres clés 2009 de l'Ademe), à cause notamment de certains effets rebonds.

Effets rebonds
Pour prendre exemple sur le résidentiel, les usages d'électricité spécifique augmentent fortement depuis déjà quelques années, conséquence prévisible d'un modèle de société basée sur la consommation. Ainsi, quatre phénomènes parallèles se combinent pour le plus grand plaisir du consommateur :
  • Diversification : Après les basiques que sont le réfrigérateur, le four, le micro-ondes et le lave-linge, voire le sèche-linge et le lave-vaisselle, voici l'ère des autocuiseurs, des blenders, des robots de cuisine de tout poil, des machines à pains, des moules à gaufre, des appareils à croque-monsieur, des babycook, des caves à vin...
  • Redondance : Plusieurs télévisions, plusieurs réfrigérateurs, autant d'équipements à alimenter en plus par foyer.
  • Dilatation : Des téléviseurs plus grands, voire des vidéoprojecteurs (très énergivores), des réfrigérateurs américains (qui consomment trois fois plus que les réfrigérateurs normaux)... Les duels de grosses voitures sont quasiment tombés en désuétude.
  • Exagération : Des ampoules basse consommation qui restent allumées inutilement, des écrans allumés en permanence en bruit de fond,...
Même sans prendre en compte l'importante quantité d'énergie consommée lors de la fabrication de tels objets (car ils sont principalement produits à l'étranger), il paraît compliqué de dégager quelques économies, les effets rebonds pré-cités phagocytant toutes les améliorations technologiques concernant l'efficacité énergétique. Le même phénomène se produit dans le tertiaire.

Solution amont : La réflexion avant l'achat
L'effet rebond étant une adaptation comportementale à une amélioration technologique, les solutions à envisager seront uniquement d'ordre comportemental, en commençant par limiter les trois phénomènes précédemment cités en se posant quelques questions avant d'acheter :
  • Le produit que je prévois d'acheter est-il vraiment nécessaire, ou dispose-je déjà d'un objet ou d'un service me permettant d'effectuer une tâche similaire ?
  • La taille du produit est-elle cohérente avec mes besoins réels ?
  • Plutôt que d'acheter ce produit, y a-t-il moyen d'en emprunter un à quelqu'un lorsque j'en ai besoin ?
En se posant systématiquement ces questions, les parts de "audiovisuel", "informatique", "froid" et "autres" devraient fondre significativement.

Solution aval : L'usage utile
L'éclairage représente environ 40 TWh de consommation électrique. Remplacer les éclairages traditionnels par des éclairages basse consommation, c'est insuffisant. Il est nécessaire de promouvoir fortement les actes de bon sens que sont l'extinction des éclairages inutiles, dans les maisons, dans les bureaux, devant les commerces, et dans l'espace public.

Solution aval : L'usage modéré
D'après l'INSEE, la moitié du temps libre est passée devant un écran, soit environ 2h30 par jour (chez soi uniquement, et à l'échelle de toute une vie), alors que c'est une activité considérée par les Français comme moins agréable que de nombreuses autres :


Les écrans consomment environ 35% du total de l'électricité spécifique du résidentiel, soit 28 TWh, soit l'équivalent de production d'environ 4 réacteurs nucléaires.
Alors, qu'attendez-vous pour arrêter de lire ce blog ?


4.1.3. Une transition complexe mais réalisable

N'en déplaise aux antinucléaires, le moteur électrique, associé à notre parc de production électrique nous offre une possibilité d'adoucir la période de transition énergétique tout en limitant nos émissions de gaz à effet de serre (sans les réduire à zéro), ce qui ne sera clairement pas le cas dans le reste du monde. En effet, dans les pays tirant une part importante de leur électricité du charbon, une voiture électrique est plus émettrice en gaz à effet de serre qu'une voiture classique.
Toutes choses égales par ailleurs, ce basculement de technologie de motorisation envisagé nécessite environ 280 TWh de puissance électrique disponible, dont environ 80 TWh peuvent être issus d'économies d'énergie dans le chauffage de bâtiments, par de la rénovation lourde. Concernant les 200 TWh restants, un certain équilibre devra être trouvé entre :
  • La réduction de la taille des voitures ;
  • Le développement accéléré du rail ;
  • La construction de nouvelles unités de production électrique (renouvelables certainement, nucléaires potentiellement), tout en remplaçant celles arrivant au terme de leur durée de vie (nucléaires principalement).
  • Le développement de circuits courts de consommation ;
  • La réduction des usages énergétiques liés aux loisirs : écrans pour l'électricité, voiture et avion pour les voyages.
  • Mutualiser la voiture, et les possessions matérielles en général, dans une vision plus internationale des enjeux énergétiques ;
Autant dire que le basculement du pétrole vers une autre source d'énergie ne pourra pas se faire sans une modification drastique de nos modes de vie.


4.2. Le gaz

Au moins 2/3 du gaz consommé, en tant qu'énergie finale, est utilisé sous forme de chauffage (résidentiel + tertiaire = bâtiment) dont on peut assez simplement trouver une alternative.

Source : AIE
  • En effet, il paraît intéressant de substituer le bois au gaz dans le domaine du chauffage, soit environ 230 TWh pour 2009.
    • Économie d'énergie prévue dans le bâtiment d'ici 2020 (par rapport à 2008), donc de chauffage : 38%, ce qui ramène les 233 TWh nécessaires à 145 TWh ;
    • Superficie de la France métropolitaine : 552 000 km2 ;
    • Superficie des forêts en France : 155 000 km2 soit 28% ;
    • Énergie thermique du bois : environ 4 MWh/tonne et 250 kg/m3 pour des plaquettes forestières, soit 1 MWh/m3 ;
    • Production naturelle moyenne des forêts françaises, dont la moitié n'est actuellement pas exploité : 665 m3/km² ;
    • Gisement énergétique moyen des forêts françaises pour le bois énergie : 665 MWh/km². 
    • Gisement énergétique total des forêts françaises actuelles pour le bois énergie en exploitant la totalité de l'accroissement naturel : 155 000 km2 x 665 MWh/km² / 2 = 52 TWh ;
    • Superficie de forêt à développer pour produire 145-52 = 93 TWh de bois énergie : 93 TWh / 665 MWh/km² = 140 000 km2 ;
    • Sachant que les 75% des 270 000 km² de la SAU nationale , soit environ 200 000 km² sert à l'alimentation animale, en divisant par quatre notre production de viande, cela rend possible la réaffectation de 150 000 km² nécessaires.
    Ainsi, pour basculer notre chauffage gaz sur le bois, il faut à la fois accentuer l'exploitation de notre forêt, doubler sa superficie, en réduisant par quatre la part du territoire affectée à l'élevage et aux activités associées, ce qui signifie également diviser notre consommation de viande par quatre. Cette habitude culinaire conseillée entraînerait également une très forte diminution des émissions de GES liée à l'agriculture, secteur aussi émetteur que le bâtiment !
  • Le second secteur consommateur de gaz est l'industrie, dont l'usage principal reste la production de chaleur, notamment à très haute température (métallurgie et cimenterie). Il pourrait être intéressant d'envisager des solutions de cogénération, notamment nucléaire, dont le potentiel exploitable (plusieurs centaines de TWh) est largement supérieur à la demande industrielle (quelques dizaines de TWh).
  • Le gaz faisant partie intégrante de l'industrie pétrochimique, sa consommation se réduira de fait lorsque la raréfaction du pétrole se fera sentir.
  • Enfin, les secteurs du transport et de l'agriculture sont suffisamment mineurs (en consommation d'énergies fossiles, non en émissions de GES) pour passer outre dans cette ébauche d'orientations, et je ne saurais me prononcer sur le secteur non-spécifié.


5. Conclusion

Lorsque des contraintes immuables sont identifiées, la meilleure manière d'y répondre est de les intégrer au plus vite, et de s'en servir comme cadre de développement. Suite au tableau assez sombre décrit dans les pages précédentes, il me paraissait nécessaire d'ouvrir des perspectives positives, et de montrer que l'optimisme était encore de mise, à partir d'estimations certes grossières, mais non dénuées de fondement.
Notons cependant que ce tableau souffre de plusieurs maux : Simplification à outrance des solutions envisagées, incertitudes majeures sur la vitesse de transition possible, et raisonnement à échelle nationale, quand les contraintes s'expriment à l'échelle mondiale.
Ces quelques notes auront quand même permis de découvrir que les ordres de grandeur des phénomènes à l’œuvre sont encore gérables, mais qu'il faut s'atteler rapidement à leur résolution, en fondant notre action sur une stratégie à long terme volontariste, sans doute fortement entraînée par la puissance publique, et appuyée par la valeur de l'exemple.



Date de mise en ligne : mai 2012
Dernière mise à jour : septembre 2012

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